Segura-Eternite2-De_sable_et_de_sang-integr-10.jpg

J'ai fait un billet sur mes illustrateurs, je me dois d'en faire un sur mes correctrices, parce qu'elles font un énorme travail dans l'ombre que vous ne devinerez jamais autrement.

Tous les éditeurs réclament un texte déjà corrigé pour avoir un minimum de fautes à la lecture. Normal, si on a un cerveau qui hurle à chaque erreur, le texte a moins de chance de plaire dès les premières lignes. Cela ne veut pas dire qu'on a du talent si on ne fait pas de fautes, mais l'art d'écrire est gâché quand il est parasité d'erreurs. Ne croyez pas pour autant qu'il faille être une bête d'orthographe et de grammaire pour être édité. Il suffit de s'arranger pour trouver une ou deux personnes qui retirent les plus monstrueuses. Ce billet devrait déstresser les écrivains en herbe.

J'avoue avoir une bonne prédisposition à l'orthographe avec une grande mémoire visuelle, et je me débrouille assez bien en grammaire pour que mon fils en CM2 craigne mon regard "bionique", mais à l'échelle d'un livre, je ne vaux plus grand-chose. Avant d'envoyer un roman, je l'épluche un maximum. Je le relis une bonne centaine de fois, dans ma tête et même à haute voix, mais il est vrai qu'à force de connaître l'histoire, je l'enchaine plus de mémoire qu'en la lisant vraiment. Je me trouble intentionnellement avec une ou deux versions papier dans des polices différentes qui "rangent" les mots autrement que sur l'écran. Néanmoins, j'ai un mal de chien à mettre mes adverbes à l'endroit le plus approprié et je suis capable de glisser un mot à la place d'un autre pour la simple raison qu'ils se ressemblent. Quand je donne un texte, je sais qu'il y aura donc des modifications à porter dessus, mais j'ai la prétention de croire que j'ai bien fait attention à l'orthographe et la grammaire. Et à chaque session de correction, mon ego repart ventre à terre ;-)

Pour Leïlan, Bragelonne était encore une petite maison d'édition et c'est Stéphane Marsan lui-même qui a corrigé l'essentiel du texte ; je n'ai pas vu grand-chose de la machinerie. Il me faisait des réflexions, j'arrangeais des passages, collais des scènes entières, rajoutais des personnages. Mais après il a lissé le français sans moi, et je n'ai donné mon avis qu'aux validations des épreuves, émerveillée des petites corrections qui changeaient tout, sans rien modifier. Je ne crois pas avoir osé refuser quoi que ce soit ;-)

Pour Eternité, j'ai suivi le protocole habituel de tout écrivain en 3 actes et j'ai très envie de vous faire part du travail de personnes qui ont su conjuguer correction et respect d'un texte.

Premier acte : Anne-Laure Lajous (associée à Hélène Jambut pour le tome I) dissèque le fond.

- les zones nébuleuses où le lecteur manque d'explications qui se traduisent par "plus d'effort sur la notion de Fidèles et de rois" ou "dans cette scène, je ne comprends pas où je suis !" ou encore "C'est le luminis blanc ou le le grand Mélénas qui parle ?"
- les incohérences tel que "ici, le guerrier ne touche pas son cimeterre avec sa peau, la Magie n'a pas à se recevoir un retour de flamme en cas d'attaque " ou "si tu pars à l'ouest sur la côte alors que tu es à gauche de la rive, il y a un souci d'orientation dans ce passage, tu vas droit vers l'océan."
- les scènes trop courtes qui la surprenne : "attends là ça fait 10 chapitres qu'on attend la rencontre, elle ne peut pas être bâclée en une page !" ou "si tu refaisais la scène de point de vue du Fidèle ce serait plus percutant, je pense".

Le pire commentaire est évidemment : "je ne comprends pas" tout simplement, sous-entendu le paragraphe ou la phrase...

C'est la partie de correction la plus intensive, la plus prise de tête qui me demande des remaniements qui peuvent affecter de grosses parties. Je grogne tout ce que je peux, je ronge mon frein, je dors mal mais le lendemain, je trouve la solution et c'est magique, on ne pourrait jamais croire que ce n'était pas écrit comme cela dès le départ. Pour le tome I, j'étais tombée sur un duo de choc qui entendait bien que le premier opus aient des bases saines et solides. Je leur dois la clarté de mes explications sur les règles de mon monde. Pour le tome II, tout me paraissait assez net, mais Anne-Laure a bien continué le harcèlement ;-)

Deuxième acte : Anne-Laure s'attaque à la forme.

Bien des fautes ont déjà été corrigées dans le premier acte quand elles apparaissaient tel un néon fluorescent dans la nuit et qu'elles me faisaient rougir de honte. Mais rien n'est comparable à cet épouillage. Heureusement pour mon moral, toutes les phrases ne sont pas touchées, je mets quelques fois les adverbes là où il faut ;-) Et puis, je peux refuser toutes les modifications proposées. Mais il y en a qui font la différence, ce serait stupide de ma part de ne pas les accepter. D'un coup de baguette, une jolie phrase devient superbe. Le mot juste est donné si je l'ai loupé.
Pour exemple, au hasard dans le chapitre 4 du tome II :

- ma phrase initiale : "Le guerrier se déculpabilisa complètement en se promettant de mieux traiter son œil-de-lumière s’il le retrouvait" est devenue grâce à Anne-Laure : "Pour taire son sentiment de culpabilité croissant, le guerrier promit de mieux traiter son œil-de-lumière s’il le retrouvait".
- "Les murs étaient de roches brunes, poncés durant des mois pour enlever toutes les aspérités naturelles" a fait place à "Les murs étaient en roche brune, poncée des mois durant afin d’aplanir toutes les aspérités naturelles"

Ces petits riens comme je les aime changent beaucoup de choses sans rien modifier. Une syntaxe un peu plus légère et un peu plus soutenue.

Les mots qui m'ont le plus renversée dans ce deuxième tome furent "les racines" dans la deuxième phrase du chapitre 7 : "Les bordures de la falaise jaunies de lichens tranchaient avec ses racines noircies d’algues, et ponctuées de bassins turquoise". Je ne sais plus ce que j'avais mis, j'ai malencontreusement écrasé le fichier, je crois que c'était "les pieds" ou "la base" ou même "le bas", rien de comparable à "ses racines" que j'adore. C'est un gros regret de ne pas y avoir pensé moi-même. Pour vous ce n'est peut-être rien, cela me touche énormément. Je préfère les phrases courtes et incisives ou alors les longues et poétiques, question de style.

Troisième acte : Marcelle Guerrot pour le tome I ou Justine Mercier-Joly pour le tome II font les corrections orthographiques et typologiques sur une version paginée comme pour l'imprimerie.

Après avoir fait pleins de modifications, corrigé et tripoté le texte, il y a des risques que de nouvelles fautes ou des répétitions soient apparues. Marcelle et Justine ont pour but de débusquer le moindre accro. Je sais que Marcelle m'a étonnée pour le tome I, mais au bout d'un an, j'aurai du mal à vous retrouver un exemple et je la prie de m'excuser. Par contre, c'est encore tout frais avec Justine et je peux vous dire que c'est elle qui a les yeux bioniques !

Elle corrige en rouge ce qui est une vraie faute (en moyenne une par page, encore !) : grammaire, orthographe, mais également une virgule en italique qui devrait être en police romaine, des Majuscules inutiles, ou des tirets de la mauvaise taille. Et elle propose en bleu une nouvelle modification suggérée (environ 4-5 par page). Et là on frise la démence en terme d'implication. On peut se rassurer en se disant qu'on a tellement déjà tout bien fait que c'est plus facile à ce stade, qu'elle arrive après la bataille, mais ce serait de la mauvaise foi. Parce que ses commentaires peuvent concerner de simples virgules à rajouter, des points virgules à insérer, des Majuscules suspicieuses, mais aussi des formulations françaises tels que "on ne dit pas fixer quelqu'un mais fixer du regard quelqu'un", "c'est un anglicisme de mettre le verbe réaliser à la place de se rendre compte de", "on se mord la lèvre inférieure et non pas seulement la lèvre", "on ne coupe pas une personne, on l'interrompt", ou encore "tu as employé le verbe se desquamer vingt pages plus tôt, par souci d'unicité, tu ne devrais pas utiliser desquamer seulement dans ce passage". Incroyable ! Mais Justine a également trouvé deux vices de forme qui m'ont tuée : "le roi avait déjà le verre à la main deux pages plus tôt" et "tu dis qu'il se relève mais dans les trois pages qui précèdent tu n'as jamais dit qu'il s'était assis". Je crois qu'Anne-Laure s'est mordue la lèvre inférieure comme moi, aussi dégoûtée de ne pas avoir vu ces erreurs, et je comprends sa frustration !

A partir de là, je n'ai plus rien à faire sur mon texte. Je valide et j'ai terminé mon travail. Je ressors de ces aventures de correction en ayant appris la différence entre "quoique" et "quoi que", qu'on dit " des mâchoires" et non une "mâchoire", qu'on écrit "une cotte de mailles" mais "un mur de pierre" (là je ne suis pas encore sûre de maîtriser cette règle). Et une infinité de petits trucs que je vais hélas oublier bien vite. Mais Anne-Laure m'a conseillé un livre : Le Robert ; Dictionnaire d'orthographe et expression écrite d'André Jouette. Une mine d'or.

Vous trouverez des anglicismes dans mon texte parce qu'Anne-Laure considère qu'il ne faut pas être intransigeant sur tout, et que c'est mon texte. Travailler avec des personnes aussi passionnées et impliquées qui ne cassent pas le rythme, qui respectent mes points d'orgue, embellissent la poésie et s'effacent sans vexation si je tiens bêtement à mon passage, c'est franchement une super expérience. Je n'ai pas réussi à les convaincre de laisser trois petits points entre deux paragraphes pour symboliser un silence entre deux personnes, mais j'ai eu gain de cause pour les rares tirets de dialogues suivis de trois petits points qui représentaient pour moi une personne qui ouvrait la bouche sans rien trouver à dire !

Je l'ai déjà dit sur facebook : les fautes sont comme des poux ; même après 100 passages de peigne, il en reste toujours un. Les corrections du tome II ne sont pas tout à fait finies, il y a encore l'intégration de toutes les dernières remarques, revérifiée par Anne-Laure. Si vous trouvez encore des coquilles après tout ce travail, vous pourrez au moins admettre que ce quatuor de correctrices n'a rien à se reprocher. Pour ma part, je remercie infiniment Anne-Laure, Helène, Marcelle et Justine pour m'avoir aidée à rendre l'histoire d'Eternité belle et cohérente.